Unpublished Lectures & Articles


Par l'écrit et l'image :

Duplessis Mornay et la propagande religieuse

1598-1611[1]


[1] The following text is an unpublished compilation of les lectures and seminars given to postgraduate students of the Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours , as part of their DEA course in 1999-2001. 

Durant la dernière décennie du seizième siècle, conscient que le combat entre les deux confessions était en train de changer de nature, Mornay dont la plume avait été jusqu'alors mise au service des ambitions politiques d'Henri de Navarre fit paraître un certain nombre d'œuvres de controverse. Ces œuvres sont des travaux d'érudition engagée dont les enjeux sont essentiellement d'ordre ecclésial ou théologique et qui font appel à une grande variété de sources chrétiennes, notamment aux sources patristiques. La bibliothèque personnelle de Mornay qu'il légua plus tard à l'Académie était particulièrement riche en éditions des Pères de l'Église, grecs et latins, témoignant qu'il suivait de près ce qui se publiait dans ce domaine à son époque. Trois traités de controverse rédigés par Mornay sont particulièrement importants, en raison de leur contenu et de la vigueur des réactions auxquels ils donnèrent lieu : un Traitté de l'Église publié pour la première fois en 1578 qui connut une seconde édition augmentée en 1599, un traité De l'Institution, usage et doctrine du sainct sacrement de l'Eucharistie en l'Église ancienne qui atteignit une seconde édition en 1598 et fut republié en 1599 et le Mystère d'Iniquité publié en 1611 et republié l'année suivante.. Le texte qui suit est le premier de trois textes, dont le second porte sur la Conférence de Fontainebleau (1601) et le troisième sur le Mystère d'Iniquité (1611) et are part of the forth coming book Religion, culture and commerce.

1 L'essor de la controverse

Ces traités de Mornay ont paru durant la période d'intense polémique des premières décennies de l'Édit de Nantes. Durant cette période fleurit tout une littérature de combat publiée par les réformés et les catholiques. On a dénombré plus de 300 ouvrages parus chaque année entre 1598 et 1630. Le registre de ces publications varie de la polémique exacerbée à l'érudition sentencieuse et pédante. Les auteurs en sont principalement, chez les protestants des ministres, chez les catholiques des religieux franciscains ou capucins et des jésuites. Mais il arrive aussi que des laïcs, magistrats ou grands seigneurs entrent en lice, comme ce fut le cas pour Mornay.

Cette littérature polémique couvre l'éventail entier d'un registre qui va de la dénonciation véhémente à la controverse la plus érudite. Du côté des catholiques la polémique la plus virulente dénonce le « poison » ou le « venin » que l'hérésie instille dans l'âme du croyant ; elle fustige le « paganisme » des réformés. L'église réformée est « la synagogue de Satan » : Florimond de Ræmond, magistrat de Bordeaux, dans son Histoire de la naissance, progrèz et décadence de l'hérésie de ce siècle (Rouen, 1629), p.3, écrit : « Voici à troupes infinies, Seigneur, des ennemis armés que le Serpent jaloux a fait naître, semant les dents de son envie dans le champ de ton Église ». Ces ennemis ce sont es controversistes protestants qui attaquent les « superstitions » et l'idolâtrie du culte catholique. L'Église est « la grande paillarde », Rome, siège de la Papauté, est la « nouvelle Babylone ».

Il est difficile d'évaluer l'impact des textes de cet ordre. Ils semblent avoir été conçus comme des avertissements adressés aux tièdes ou comme des encouragements destinés aux militants plutôt que comme des instruments efficaces de conversion. Les conversions - il y en avait- donnaient lieu à des récits sous forme d'histoires exemplaires qui étaient publiées comme autant de bulletins de victoire et immédiatement suivis de contre-attaques vouant à l'opprobre les « déserteurs ». Ainsi en 1601, l'imprimeur bordelais Simon Millanges publiait une brochure anonyme qui annonçait la Nouvelle conversion du Sieur Durand, ministre de Lodun à la Religion catholique et une Réprimande aux Ministres sur la Déclaration d'Esmond prétendu jesuiste et de deux autres déserteurs de la foy catholique du Père Louis Richeome S.J..

L'époque voit aussi se multiplier des conférences publiques qui opposent religieux et ministres sur les principaux points de la foi catholique et réformée.[1] Elles sont parfois organisées pour mettre en scène a posteriori la conversion d'un personnage éminent, d'un religieux ou d'un ministre acquise d'avance. Mais dans l'ensemble, elles sont l'occasion de joutes orales non suivies d'effet, chacun, spectateur ou disputant, restant au bout du compte sur ses positions. Les participants étaient rompus à ce genre de joute intellectuelle. Ils arguaient le pour et le contre à grand renfort de syllogismes et de citations de la Bible, pour les Protestants ou des Pères pour les Catholiques, selon les règles de la dispute académique. Ces conférences donnaient lieu la plupart du temps à des publications où les protagonistes reprenaient à leur avantage les arguments qu'ils avaient avancés oralement durant le débat.

La controverse pouvait alors se poursuivre par écrit.[2] La publication d'un ouvrage de controverse par l'un des deux camps entraînait la prompte parution d'une réplique par l'autre : Ainsi en 1608, le jésuite Louis Richeome publie L'Idolatrie huguenote figurée au patron de la vieille païenne (Lyon, 1608). Le pasteur Bansilion réplique par L'idolâtrie pastique (Genève 1608). Richeome revient à la charge et fait paraître Le Panthéon Huguenot découvert et ruiné contre l'auteur de l'idolâtrie papistique (Lyon, 1610). Comme les sermons publiés, de tels textes contribuaient à répandre une culture théologique parmi les fidèles. Ils participaient d'un processus de vulgarisation de la controverse érudite. Cette dernière était publiée en de volumineux traités que seuls pouvaient rédiger des controversistes savants qui avaient accès à des bibliothèques conventuelles, diocésaines ou consistoriales ou disposaient d'une bonne bibliothèque personnelle.

Cette controverse érudite s'attachait non à dénoncer la dépravation ou la superstition des adversaires, mais à défendre la vérité telle qu'en étaient convaincus de la détenir, protagonistes catholiques et protagonists réformés. Bien souvent les controversistes utilisaient des arguments et des citations puisés dans des traités de référence sur la méthode, la thématique et la topique de la controverse: Les Centuries de Magdeburg (Ecclesiastica historia secudum singulas centurias, Bâle, 1569-1574) du luthérien M. Flaccius Illyricus, les Controverses (Disputationes de controversiis fidei adversus hujus temporis haereticos Ingolstadt, 1586-1593) du jésuite Robert Bellarmin et la Bibliothèque des Pères (Magna bibliotheca veterum patrum, et antiquorum scriptorum ecclesiasticorum, Cologne 1618-1622) de Marguerin de la Bigne.Les controversistes du seizième siècle choisissaient de traiter souvent plusieurs points de doctrine. Cette protestante procédait en s'appuyant uniquement sur le texte de l'Écriture. La controverse catholique, elle, faisait appel à la Tradition écrite et non écrite. Toutes deux développaient leur argumentation sous forme de syllogisme. L'entrée en lice de Duplessis Mornay a eu pour effet de simplifier la controverse en la concentrant sur les points fondamentaux qui séparaient la doctrine réformée de la doctrine catholique romaine et principalement en les abordant dans une perspective historique. La méthode de Mornay est celle de la critique de sources. Ele trouve son plein aboutissement dans le Mystère d'Iniquité qui parut en 1612.

Référence

-Kappler, Émile,Conférences théologiques entre catholiques et protestants en France au XVIIe siècle, Paris : Honoré Champion, 2011

sources

-Entière et complète dispute d'entre les sieurs Samuel de Chambaran ministre de l'eglise de Lorges & Marchesnoir. Et Jean Journé docteur de la Sorbonne, selon les actes ci rapportés escripts & signez de part & d'autre. Oeuvre tres-utile pour les disputes de ce temps, & principalement pource que la question, Si l'Eglise romaine est l'Eglise de Dieu, y est vuidée & decidée par l'examen des principales parties d'icelle, A Saumur, Par Thomas Portau, 16

-Actes de la dispute d'Ambrun entre M. Daniel Chamier, ... & M. Fenouillet, ... [S.l.] : [S.n.], 1603

-Résolution faicte contre les ministres pour l'approbation du Purgatoire, & confirmer les prieres qui se font pour les trepassez : contre les faussetez qu'ils ont proposées. Ensemble la cause pourquoi on ne prie pour les saincts. Par P.V.C., ...[Par Pierre Victor Cayet] ,A Paris : Pour Benoit Chalonneau, 1601, A Paris : Pour Sylvestre Moreau, 1601, in-8

-Conference faicte à Nancy, entre un docteur Jésuite accompagné d'un capuchin, & deux ministres de la parole de Dieu : descrite par Jacques Couet, parisien

à Basle : [S.n.], 1600 In-8°-

Discours veritable de la conference publiquement faite en latin, entre P. de Vinays ministre & J. Coyssard jesuite. Traduite fidelement en françois de son original, sur le poinct de l'invocation des saincts decedez. Ceste conference est divisee en trois parties, [Genève], Par Gabriel Cartier, 1601

2 Mornay, le traité De l'institution de l'Eucharistie et la Conférence de Fontainebleau

Dans leurs écrits, les controversistes contemporains de Mornay traitaient généralement plusieurs points de doctrine ; l'histoire de l'Église constituait un des éléments du débat, mais pas le seul. L'hostilité que rencontrèrent les traités de Mornay chez les catholiques tient au fait que Mornay prenait pour seule cible l'histoire de l'Église, de la messe et de l'eucharistie. Mornay retournait contre les polémistes l'argument historique selon lequel l'antiquité constituait la marque de la véritable église. Ses traités visaient à démontrer que c'était le Catholicisme Romain et non le Protestantisme qui était novateur. Mornay replaçait aussi l'histoire de la papauté dans une perspective millénariste qui voyait dans la naissance du pouvoir temporel de la Papauté, le début du règne de mille ans de Satan sur terre, annoncé dans la vision de l'Apocalypse de Saint Jean. Dans l'interprétation qu'en donnait Mornay, l'histoire de l'Église et de ses deux « institutions », le « sacrifice de la messe » et l' « empire du Pape » devenait l'histoire de la corruption du christianisme par Satan.

En outre cette vision de l'histoire s'appuyait, notamment dans le traité De l'Institution, usage et doctrine du sainct sacrement de l'Eucharistie en l'Église ancienne sur des preuves tirées des écrits des Pères de l'Église et des Scolastiques. Comme l'écrit Élie Benoit ( T.I, L.VII, p. 341), « Du Plessis ne se tenoit pas, comme on [les Protestants] avoit fait jusques-là, dans les bornes de l'Écriture. Il s'étoit jetté dans le vaste champ de la Tradition & il avoit cité dans son livre plus de quatre mille passages des Docteurs Scholastiques ou de ceux qu'on appelle Pères. C'étoit là porter la guerre jusques dans le cœur de l'Église Romaine… ».

La publication en 1599 des nouvelles éditions du Traitté de l'Église et du traité De l'Institution de l'Eucharistie fut immédiatement suivie de la parution de plusieurs répliques rédigées notamment par des théologiens de Bordeaux et par des jésuites toujours installés dans cette ville. L'un de ces derniers Jules César Boulanger était aumônier du roi Henri IV. En 1594-95, Boulanger qui prêchait alors prés de Niort avait mené une dispute avec le pasteur de la ville, Louis de La Blachière, dispute qui avait été suivie de la publication sous le pseudonyme de Michau de deux imprimés anonymes datés de 1595 1596 contre Boulanger. Ces écrits très polémiques ont récemment été attribués au poète Agrippa d'Aubigné, mais l'influence de Mornay s'y fait aussi sentir.

Dans sa satire intitulée La Confession du Sieur de Sancy, d'Aubigné fait parler son personnage en ces termes: « j'ai leu le Docteur Boulanger qui écrit en diable promptement et sans y songer…il sçait bien mieux la Logique que quand il disputa à Nyort…car il a respondu à la préface du Plessis ; pour le moins il parle à lui… ». De fait, dans sa réplique à Mornay Boulanger avait adopté la tactique de l'accuser d'avoir falsifié les citations qui servaient e preuves. Mornay se défendit dans sa Response à l'examen du docteur Boulenger (La Rochelle, 1599) et dans sa Vérification des lieux impugnez de faux, tant en la préface, qu'aux livres de l'institution de la saincte Eucharistie (La Rochelle, 1600). Mais l'accusation de falsification fut reprise par l'évêque d'Évreux Jacques Davy Du Perron. Ce dernier jouissait de la confiance royale Mornay fut piqué au vif de voir son honneur mis en cause par un proche de celui qu'il avait longtemps fidèlement servi. Mornay défia Du Perron de démontrer ce qu'il avançait. Il publia un écrit en mars 1600 où il invitait ses accusateurs à se joindre à lui pour demander au Roi de nommer des commissaires qui seraient chargés d'arbitrer son ouvrage. Le Roi donna son accord pour la réunion d'une conférence contradictoire.

La Conférence qui se réunit le 4 mai 1660 à Fontainebleau était un piège. Le roi nomma cinq commissaires dont deux seulement étaient protestants, Isaac Casaubon et Du Fresne Canaye. Ce dernier était d'ailleurs sur le point de se convertir. Mornay n'eut qu'une nuit pour se préparer et ne put examiner qu'une petite portion des citations incriminées. Le lendemain, le Chancelier présida aux débats auxquels le roi et la Cour assistèrent. Privé de plusieurs de ses sources, Mornay se défendit mal et les commissaires rendirent leur verdict sur neuf citations qui furent déclarées erronées. Malade de dépit et d'humiliation, Mornay quitta Fontainebleau et repartit à Saumur, tandis que Du Perron se hâtait de faire publier les Actes de la Conférence suivis d'un Discours véritable de l'ordre et forme qui a éte gardée en l'assemblée faicte à Fontainebleau... (Anvers, 1600).

La Conférence de Fontainebleau était une mise en scène politique. Elle offrait à la Cour et au Pape une démonstration de la sincérité de la conversion du roi. Elle aboutit surtout à humilier Mornay aux yeux de la Cour et à signifier sa disgrâce ainsi que le voulait le roi. Mais la controverse ne s'éteignit pas pour autant. Le jésuite Louis Richeome, publia un volumineux ouvrages qu'il intitula Victoire de la Vérité catholique contre la faulse vérification de Philippes de Mornay… (Bordeaux, 1601). Mornay revint à la charge en publiant sa Response au livre publié par le sieur évesque d'Évreux, sur la conférence tenue à Fontainebleau… en laquelle sont incidemment traictées les principales matières controverses en ce temps..., (Saumur, T. Portau, 1602) et la même année le jésuite Fronton du Duc fit paraître à Bordeaux une Réfutation de la prétendue Vérification et Response du sieur du Plessis….

Mornay allait revenir sa polémique contre les jésuites et la Papauté dans le traité intitulé Le Mystère d'Iniquité qui parut au début de la décennie suivant

Références

Sources

Du Plessis Mornay, De l'Institution, usage et doctrine du sainct sacrement de l'Eucharistie en l'Église ancienne ; ensemble comment, quand et par quels degrez la messe s'est introduite en sa place, le tout en quatre livres, par messire Phillippes de Mornay, seigneur Du Plessis-Marli,... Dernière édition, reveüe par l'autheur, et augmentée de deux tables... , La Rochelle, 1599

Du Plessis Mornay, Traitté de l'Église, auquel sont disputées les principales questions meuës sur ce poinct en nostre temps, par Messire Philippes de Mornai, seigneur Du Plessis-Marli,... reveu et augmenté par l'autheur...,La Rochelle, 1599

Du Plessis Mornay, Response à l'examen du docteur Boulenger, par laquelle sont justifiées les alléguations par lui prétenduës faulses et vérifiées ses calomnies contre la préface du livre de la saincte Eucharistie, par messire Philippes de Mornai, seigneur Du Plessis-Marli…, La Rochelle, 1599

Du Plessis Mornay,Vérification des lieux impugnez de faux, tant en la preface, qu'aux livres de l'institution de la saincte Eucharistie ... par le docteur Dupui ... le docteur Boulenger, et les théologiens de Bordeaux, & leur response; par Philippes de Mornai, La Rochelle, 1600

Jacques Davy Du Perron, Sommation du sieur Du Plessis à Mgr l'évesque d'Évreux,A Paris, jouxte la copie imprimée à Évreux, par A. Le Marié, 1600

Jacques Davy Du Perron,Copie de la Sommation du Sieur Du Plessis [à l']Évêque d'Evreux], Réponse du sieur Du Plessis à l'escrit publié par le sieur evesque d'Evreux, Anvers, Hierosme Verdussen, 1600

Du Plessis Mornay, Responce du sieur Du Plessis à l'escrit publié par le sieur évesque d'Évreux sur la sommation à luy faicte privément par ledit sieur du Plessis

(S. l.), 1600

Jacques Davy Du Perron,Discours véritable de l'ordre et forme qui a éte gardée en l'assemblée faicte à Fontainebleau... pour l'effect de la Conférence entre M. l'Évèque d'Evreux et le sieur Du Plessis Mornay le... 4... may... 1600..., Anvers, Hierosme Verdussen, 1600

Jacques Davy Du Perron, Actes de la Conférence tenue entre le Sieur Evesque et le Sieur Duplessis en présence du Roi, Evreux, Anthoine Le Marié, 1601

Du Plessis Mornay, Discours véritable de la conférence tenue à Fontainebleau, le quatriesme de may 1600 entre le sieur Du Plessis & l'evesque d'Evreux. Seconde edition, où sont de nouveau remarquées certaines faussetez du sieur d'Evreux en son livre de la vocation contre les ministres : & où sont aussi adjoustées certaines particularitez qu'on avoit obmises en la première édition, A Montpellier, par Jean Gillet, 1600

Du Plessis Mornay, Response au livre publié par le sieur évesque d'Évreux, sur la conférence tenue à Fontaine-Bleau, le quatriesme de may 1600, par Philippes de Mornay, sieur Du Plessis Marly, en laquelle sont incidemment traictées les principales matières controverses en ce temps..., Saumur, T. Portau, 1602

Études

[Agrippa d'Aubigné], La responce de Michau l'aveugle, suivie de La replique de Michau l'aveugle, édition et notes par Jean-Raymond Fanlo, Paris, Honoré Champion, 1996

Élie Benoit, Histoire de l'Édit de Nantes, Delft, Adrien Beman, 1715, 5 vol.

B. Dompnier, Le Venin de l'hérésie. Image du protestantisme et combat catholique au xviie siècle, Paris, Le Centurion, 1985


[1]Voir l'indispensable étude de E. Kappler, Conférences théologiques entre Catholiques et Protestants français au xviie siècle, Paris, Honoré Champion, 2011.

[2] Cf. L. Desgraves, Répertoire des ouvrages de controverse, Genève, Droz, 1984, 2 vol.

Le Mystère d'Iniquité

Le Mystère d'Iniquité parut à Saumur, chez Thomas Portau en édition française et en édition latine, en 1611.Traité polémique sur l'histoire de la Papauté, le Mystère d'Iniquité est moins dense dans l'usage des citations qui restent certes abondantes, l'argumentation plus évidemment engagée. C'est le seul ouvrage de Mornay qui soit illustré de gravures qui ajoutent au texte une dimension satirique et on été éxécutées spécialement à cette fin. C'est aussi une œuvre de circonstance, dédiée au jeune Roi, et par-delà à la Régente et à ses ministres. Mornay cherchait sans aucun doute à tirer parti de l'embarras causé aux jésuites par le fait que l'assassin d'Henri IV, Ravaillac avait étudié chez eux. Son orientation politique est évidente à la lecture de la dédicace et de la Préface à Messieurs de l'Église Romaine. D'esprit gallican, la Préface n'est pas sans évoquer la plume de Mornay lorsqu'il était au service du Roi de Navarre et publiait anonymement ou sous un pseudonyme des textes occasionnels de propagande. Elle met en garde la monarchie contre les prétentions ultramontaines, mais elle reflète aussi l'espoir que conservait Mornay de voir les libertés religieuses et politiques des réformés continueraient à être garanties.

L'ouvrage reprend les arguments historiques avancés dans les deux traités précédents, mais l'allégorie du frontispice lui donne une dimension eschatologique bien plus marquée.

Pour un livre volumineux et certainement cher, le Mystère d'Iniquité connu un grand succès. Portau publia une nouvelle édition du texte latin en 1612 et une traduction anglaise parut la même à Londres chez Islip.La page de titre de l'édition anglaise est ornée d'une gravure sur bois qui reprend le frontispice des éditions de Portau en dimensions légèrement réduite.

La publication de l'ouvrage donna le signal d'une série d'attaques dirigées par des polémistes réformés contre des jésuites français, notamment le Père Cotton confesseur du roi. Il semble bien que par prudence ces derniers aient choisi de ne pas s'engager directement dans une polémique Duplessis Mornay. Les réponses au traité parurent à l'étranger. Elles furent le fait de Johannes Magirus S.J. (Speyer) 1609 et de Leonardus Coquaeus (Milan, 1616)

Les gravures du Mystère d'Iniquité

1 Le frontispice

Le Mystère d'Iniquité, est le seul ouvrage sorti des presses de Portau où un frontispice, remplace au-dessus de l'adresse typographique, l'une des deux marques utilisées par l'imprimeur, la marque à la rose et la marque aux portiques.

La gravure est de grandes dimensions: 17, 3 cm de hauteur et 18, 4 cm de largeur au coup de plaque, le dessin étant légèrement moins haut (16, 2 cm). Elle représente au centre une citadelle en forme de tour de neuf étages (un "dongeon" selon la Préface à Messieurs de l'Église Romaine). Cette citadelle repose sur des pieux de fondation en bois ; à droite un homme , portant un corselet, les manches retroussées et une torche à la main, vient d'y mettre le feu ; à gauche un jésuite reconnaissable à son bonnet, les mains jointes sur la poitrine en signe d'adoration, lève les yeux vers le sommet de la tour.

Sous le titre, au dessus de la gravure, deux vers latins imprimés en italiques fournissent l'explication :

Falleris æternam qui suspicis ebrius Arcem

Subruta succensis mox corruet ima tigillis

(«Tu auras cru à une citadelle éternelle, toi qui lève un regard grisé vers elle/ bientôt elle s'effondrera, ses pieux mis à feu par le bas »)

La citadelle représente « la prétendue Toute-puissance » de la Papauté, et le jésuite, le cardinal Robert Bellarmin, auteur du célèbre traité sur la puissance temporelle de la Papauté, Tractatus de Potestate Pontificis in Rebus Temporalibus (Rome ,ex typographia Bartolomæi Zannetti, 1610). Dénoncé à la Sorbonne, l'ouvrage de Bellarmin venait d'être condamné par le Parlement de Paris en novembre 1610.

L'image est certainement inspirée par les nombreuses représentations de la Tour de Babel exécutées par des peintres flamands de l'époque et qui circulaient sous fore de gravure. Une tradition d'exégèse reposant sur ressemblance entre les mots hébreux « Babel » (Babylone) et « balbal » (confusion) associait la tour à Babylone, la cité rebelle devant Dieu. L'association ne pouvait échapper à des lecteurs protestants empreints de culture biblique et pour qui Rome représentait la nouvelle Babylone .  

2 La planche

La gravure est une allégorie de « l'empire de la Papauté ». Les quatre régions du monde représentées par des figures de femmes avec accessoires rendent hommage au Pape Paul V. Mais exprimée en chiffres romains, la séquence des lettres qui en légende compose son nom et son titre latins «pavlo v vicedeo » produit le chiffre 666, chiffre de la Bête de l'Apocalypse. Le graveur a copié l'effigie du Pape d'une gravure placée en frontispice d'une thèse de théologie italienne

Le frontispice n'est pas signé, la planche dépliante représentant le Pape Paul V et ses « empires » non plus. Mais le portrait gravé de Mornay qui les accompagne porte la signature de L. Gaultier. Ce graveur, originaire d'Allemagne mais travaillant en France à l'époque, est l'auteur de nombreux portraits de grands et de nobles français. La similarité du trait autorise à lui attribuer aussi le frontispice ainsi que la planche. Vus de près le visage et les cheveux du personnage de droite du frontispice sont remarquablement proches de ceux du portrait.

© Jean-Paul Pittion


L'enseignement de la philosophie à l'académie de Saumur (1610-1683)[1]


[1] Le texte qui suit est celui d'une communication préparée pour une jounrnée d'études sur l'académie qui a eu lieu en 2009 et don't en raison dune absence imprévue de ma part, l'organisateur de la journée, Thomas Guillemin a bien voulu se charger de faire la lecture lecture. Il conserve sa forme orale et seules quelques coquilles ont été corrigées. 

Chers collègues et amis, Mesdames et Messieurs,

Croyez que je suis désolé de ne pouvoir participer en personne à cette journée d'études sur l'académie de Saumur. Des problèmes de transport dont je ne sus pas responsables m'ont contrait d'y renoncer au dernier moment. J'en suis d'autant plus navré que je considérais cette journée comme une sorte d'anniversaire : en effet, il y a exactement 50 ans, à queques mois mois près, je déposais au Trinity College de Dublin, ma thèse de doctorat (en anglais) sur la vie intellectuelle à l'académie.

Cet anniversaire personnel et le thème même de cette journée d'études, m'autorisent, me semble-t-il, à procéder, en introduction, à une sorte de bilan des progrès qui ont eu lieu depuis dans les études saumuroises. En effet qui s'intéressait vraiment à l'histoire de l'académie, il y a 50 ans? Seuls Brian Armstrong et François Laplanche avaient débuté des travaux sur la doctrine théologique enseignée à l'académie, dans le contexte des polémiques auxquelles cette doctrine donna lieu ainsi que de leurs prolongements dans le domaine des études bibliques. Mais exceptée l'étude de Bourchemin sur l'ensemble des académies protestantes, et l'étude de Marchegay, l'histoire de l'établissement lui-même, celle des hommes qui firent sa réputation et celle de ses étudiants ne faisaient alors l'objet d'aucune recherche.

Dans le domaine de l'histoire doctrinale et intellectuelle et , mise à part la thèse de 1907 de Joseph Prost sur la philosophie de l'académie, thèse qui fait toujours autorité, les travaux universitaires plus récents portant la théologie de Saumur doivent beaucoup à ceux de Brian Armstrong et de François Laplanche. Mais les éminents travaux de ces deux historiens n'épuisent pas le sujet. Pour comprendre la portée réelle du discours théologique de l'époque, il est nécessaire d'évaluer sa transmission par la parole pastorale et sa réception au sein des fidèles, et de saisir les enjeux religieux profonds auquel ce discours tente d'apporter une réponse. Dns ce domaine, les récents travaux de Thomas Guillemin et d'Albert Gootjes montrent la voie. Il reste encore de nombreuses sources à explorer, notamment, les correspondances des pasteurs et des théologiens, sans oublier le riche fond des Archives Tronchin, conservé à Genève.

D'autre part, la vie intellectuelle d'une académie protestante célèbre comme le fut celle de Saumur, ne peut être isolée du fonctionnement interne de l'institution, des rapports de force professionnels et des rivalités entre institutions. De point de vue, l'ouvrage de F P. van Stam, The Controversy over the Theology of Saumur, 1635-1650 (Amsterdam, 1988) constitue une contribution importante. Enfin il convient de ne pas négliger les rapports de l'académie à son milieu local et régional, non plus que la présence en son sein d'enseignants et d'étudiants d'origines et de traditions diverses. L'exposé de Marie-Claude Tucker vient de le rappeler. Le profil de l'académie semblable en cela à celui d'autres grandes académies réformées européennes, a donné à l'académie sa singularité par rapport aux autres académies du royaume et a fait de Saumur « la capitale européenne du protestantisme français au XVIIe siècle », pour reprendre le titre du colloque de Fontevrault de 1991. L'originalité de l'activité intellectuelle de l'académie tient à la fois au cosmopolitisme de l'institution et à la diversité du milieu confessionnel dans lequel elle s'est exercée.

Le renouveau des approches, sujet de cette journée d'études, dépend en effet de l'exploration et de l'exploitation de nouvelles sources. Ces sources, très dispersées aussi bien en France qu'à l'étranger ont longtemps été mal connues. Des bibliothécaires et archivistes ont beaucoup contribué à les mettre à la disposition des chercheurs. On ne peut manquer de rendre un hommage particulier aux bibliothécaires de la Marsh's Library de Dublin, Muriel McCarthy et à son successeur Jason MacElligott, et notamment, à Saumur à Véronique Flandrin qui dirige les archives municipales de la ville. La transcription et la mise en ligne du Registre de l'académie menée à bien sous sa direction ont marqué un tournant dans les études sur l'histoire de l'académie, en rendant accessible aux chercheurs français et étrangers cette source fondamentale.

Bien d'autres sources restent encore à exploiter, notamment le Livre de compte de l'académie et les actes du consistoire, hélas incomplets, conservés aux archives départementales d'Angers. L'histoire de la ville à l'époque de l'académie, est désormais mieux connue grâce aux travaux de M. Denécheau. Toutefois les relations entre l'académie et la communauté réformée et les rapports de cette dernière avec la majorité catholique, et avec la municipalité et les officiers royaux de la ville restent encore à explorer. Enfin l'histoire du livre, restée longtemps la trop humble servante des autres domaines historiques offre de nouvelles perspectives sur la culture et le cheminement intellectuels de certaines grandes figures qui firent à son époque la gloire de l'académie, comme en témoigne l'exposition actuellement accueillie au Château.

Ce bref état des questions auquel je viens de me livrer et les pistes de recherche que je me permets de suggérer, reflètent évidement les orientations et les partis-pris de ma propre expérience d'historien de l'académie. Les ayant ainsi déclarés, j'aborde mon sujet. Je passerai en revue l'enseignement philosophique à Saumur, et terminerai en m'attardant sur deux importantes figures qui ont marqué cet enseignement, Marc Duncan et Jean-Robert Chouet.

L'enseignement de la philosophie à l'académie

L'enseignement de la philosophie occupe une place charnière dans les cursus des collèges de l'époque. Se déroulant sur deux ans, il couronne les cinq ans d'études classiques au collège d'humanités. Il aboutit à la soutenance de thèses publiques conférant le diplôme de maîtrise-ès-arts. L'obtention de la maîtrise donne accès aux formations professionnelles offertes par les facultés universitaires proprement dites, c'est-à-dire aux études de théologie, de jurisprudence et de médecine, couronnées quant à elles par le doctorat. Notons tout de suite que parmi les collèges d'humanité réformés, qui furent souvent, à l'origine, des fondations municipales, trois seulement sont rattachés à des établissements d'enseignement supérieur, les académies proprement dites, de Montauban de Saumur et de Die. Ces académies ne disposant pas de la double charte de fondation royale et papale n'ont pas vocation à enseigner le droit (« in utroque jure ») ou la médecine, ni à décerner des doctorats dans ces matières. Seule l'académie protestante de Sedan, du fait de sa situation particulière aux marges du royaume, a eu un temps une chaire de jurisprudence. À Saumur comme a à Montauban et à Die, l'académie a pour seule vocation d'enseigner la théologie et de conférer le titre de STD, « Sacræ Theologiæ Doctor».

La philosophie dans l'enseignement à Saumur, s'étalait sur deux ans et conduisait à l'obtention de la maîtrise-ès-arts. L'enseignement n'avait pas pour objet principal de préparer aux études de théologie. Seule une minorité de candidats à la maîtrise qui se destinaient à la fonction pastorale, entreprenaient des études de théologie, cette maîtrise une fois obtenue. Si du point de vue institutionnel et administratif, académie et collège formait une unité, du point de vue intellectuel, l'enseignement de la philosophie et celui de la théologie constituaient deux domaines séparés. Dans certains des nouveaux collèges de grand exercice fondés par les jésuites, l'enseignement de la théologie débutait dès la dernière année du cursus des humanités. Par contre, comme dans les autres académies, à Saumur une nette ligne de démarcation séparait l'enseignement de la philosophie de celui de la théologie. Du point de vue des enseignants déjà : sauf erreur dans le cas de Saumur, je ne connais qu'un seul cas d'un professeur de philosophie qui ait ensuite accédé à une chaire de théologie, celui d'Etienne Gaussen dont Albert Gootjes nous entretiendra. À l'exception de Duncan les professeurs de philosophie ont été recrutés parmi les régents classiques ou parmi des anciens étudiants ayant déjà obtenu leur maîtrise.

À plusieurs reprises d'ailleurs, durant la période où la doctrine théologique enseignée à l'académie commençait à soulever des controverses, les synodes nationaux appelèrent le Conseil de l'académie à la vigilance, lui recommandant de veiller à ce que les professeurs de philosophie fassent « en telle sorte qu'ils s'en tiennent aux principes de la vraie religion », - je cite - « lorsqu'ils traitent toutes questions de physique et de métaphysique « qui ont quelque correspondance à la théologie ».[1] Que visent ces recommandations ? En métaphysique, bien évidemment et en premier lieu, le rejet de l'interprétation thomiste de la philosophie première « simpliciter », telle qu'elle est définie dans la Métaphysique d'Aristote, et qui selon Saint Thomas serait une science dont l'objet est Dieu en tant que principe de l'être.

D'autre part en physique, certains lieux communs de la tradition aristotélicienne, la question du statut des universaux, héritée de Porphyre et celle de la nature du mouvement et du lieu, héritée de Poliphonus, touchaient à des questions de controverse interconfessionnelle, notamment à celle de transsubstantiation. Sur ces questions, la philosophie devait céder la place à l'Écriture, seule règle de foi.

L'enseignement de la philosophie était donc destiné à proposer une réflexion sur les fondements de la connaissance et à fournir schèmes de pensée et méthodes d'analyse. Il se voulait aussi une propédeutique aux savoirs spécialisés, mais sans déborder sur eux: comme l'écrit Duncan dans ses thèses « ex logicis et ethicis » de 1610, en appliquant également à l'éthique ce que dit Aristote de la philosophie de la nature (c'est à-dire la physique) dans le De Sensu (I 436 a b) : « ubi definit Physicus, ibi incipit Medicus : ita ubi definit Philosophus moralis, ibi incipit Jurisconsultus ». Pour paraphraser : la physique s'arrête là où commence la médecine et la philosophie morale là où commence le droit. Nous ne disposant pas du cours de métaphysique de Duncan, mais connaissant sa pensée, je suis certain qu'il aurait pu écrire aussi que la métaphysique s'arrête la où commence la théologie.

Les épreuves que devaient subir les candidats à la chaire de philosophie comportaient une série de commentaires sur des textes d'Aristote. Il est significatif que ceux imposés au concours de 1634 par exemple, aient été tirés du Livre VI, chap. 2 de l'Éthique à Nicomaque, du Livre II, dernier chapitre des Secondes Analytiques, du Livre I de la Physique et du Livre II, chap. 5 du De Anima, [2] tous textes qui posent des questions sur les modalités de la connaissance et de ses limites et qui avaient fait l'objet de spéculations de la part de Saint Thomas d'Aquin et des scolastiques.

Les Statuts de l'académie érigés en 1612 précisent que les deux professeurs de philosophie « enseigneront la première année un brief et facile sommaire de Logique, après lequel ils liront L'Organe d'Aristote en texte grec, et exposeront [et] feront un brief sommaire de l'ethique, politique et oeconomique avant la fin de l'année. La seconde, ils exposeront la physique d'Aristote et ce qui en dépend en texte grec avec un sommaire de la métaphysique,…». La philosophie enseignée à Saumur se voulait donc un retour à l'authentique pensée d'Aristote, débarrassée de ce qu'Etienne Gaussen appellera plus tard la « logomachie » scolastique. L'esprit de cette philosophie se caractérisait donc essentiellement par le rejet de la spéculation métaphysique, par l'exégèse du texte grec d'Aristote et en physique par l'accent mis sur les concepts et les méthodes de la connaissance du monde naturel.

Nous connaissons la forme et les contenus réels des cours grâce à deux sources de première importance : d'une part les cours manuscrits pris sous la dictée par des étudiants. Sauf de nouvelles découvertes, un seul de ces cours est de la main d'un professeur lui-même, le cours de physique de Duncan, dont le manuscrit holographe a été redécouvert par Thomas Guillemin. D'autre part on ne peut suivre la démarche des professeurs, leurs questionnements et l'angle particulier sous lequel ils abordaient certaines questions, sans analyser un ensemble d'autres sources, les thèses publiques imprimées en placard que les étudiants du professeur défendaient collectivement lors de la dispute publique et solennelle, à la suite de laquelle la maîtrise leur était décernée. Ces thèses imprimées et leurs « questionnes » nous permettent d'avoir une idée des disputes orales, « pro exerçait », qui formaient un complément du cours ex cathedra et constituaient un instrument important de la formation intellectuelle des étudiants. L'enseignement avait donc conservé mais dans le cadre des limites imposées à la discipline, cette dimension de dispute qui jouait un rôle très important dans les universités médiévales, et qui dans les universités catholiques avait été réintroduit et renouvelé en métaphysique, par Suarez.

En effet, en ce qui concerne cet aspect des cours et de l'emploi du temps des étudiants, les statuts de l'académie, adoptés en 1612 stipulent que les professeurs « enseigneront leurs escholiers quatre jours la sepmaine, par leçons quatre heures le jour et (je souligne) par disputations [les] de mercredi et sabmedi ».[3] Le Registre de l'académie pour l'année 1616, précise que Duncan, outre le cours de logique et celui de physique devait enseigner Duncan- je cite- un « compend de métaphysique » et « le reste du temps aux mathématiques », en particulier « aux deux premiers livres d'Euclide ». Ce cours devait aussi traiter de « la Sphère », c'est-à-dire de l'astronomie élémentaire. Par la suite, sans qu'il soit possible d'être précis quant à la date de ce changement, le niveau de l'enseignement de l'astronomie, reposant sur le traité De Sphæra de Sacro Busto et du moins peut-on le présumer, celui des premiers éléments d'Euclide, furent rabaissés. Cet élément du cours fut déplacé en classe de première du college. C'est ce dont témoigne un cours manuscrit copié en 1657 par l'étudiant rochelais Elie Bouhéreau et intitulé Compendium de Chreiâ: Syntagma Artis Oratoriae: et Sphaerae Explicatio.[4] Quant aux raisons de ce changement, si je suis loin d'avoir terminé l'analyse du cours de physique manuscrit de Duncan, ce que j'ai déjà déchiffré et ce que je connais de sa logique, me conduisent à penser que l'enseignement qu'il délivrait était d'un niveau dépassant de loin les compétences d'une majorité d'élèves tout juste sortis de classe de première.

Le cours de logique de Duncan, composé en 1612 et dont la dernière édition date de 1655, ainsi que son cours, resté manuscrit, de physique montrent que durant les premières décennies de l'académie, l'enseignement de la philosophie restait assez largement fidèle aux prescriptions synodales et qu'il s'appuyait sur une exégèse précise des sources-clés d'Aristote. Mais les synodes étaient conscients qu'une telle approche textuelle n'était vraiment envisageable, sans fournir à des étudiants abordant pour la première fois le cours une introduction en forme de résumé. Tel était le rôle du « compend ». Après la disparition de Duncan et à la fin des années cinquante soixante, la structure et le contenu des cours de philosophie a changé : d'une introduction à la lectio de la source d'Aristote, le « compend » est devenue une mise en système des principales notions aristotéliciennes et des principales « questiones » qu'elles soulevaient. J'ai le sentiment qu'une évolution similaire s'est produite en ce qui concerne l'enseignement de la théologie. Dans les années vingt, en théologie les Prælectiones de John Cameron notamment restent très proches du commentaire exégétique. Albert Gootjes nous apprendra comment la discipline était abordée dans les années 1650 par un professeur de théologie comme Etienne Gaussen.

En métaphysique, le cours succinct d'Isaac Hugues, Summa brevis doctrinae metaphysica, opera et methodo Isaaci Hugonis, imprimé et publié par Jean Lesnier en 1649, traite essentiellement des attributs de l'être en tant qu'être, ens quã ens, de ses principes premiers - potentialité et actualité- ainsi que de la causalité (« causa materialis, formalis, efficiens, finalis ») pour aborder ensuite l'étude successive des dix catégories. Ces catégories sont des accidents réels de l'être, non des êtres intellectuels distincts qui auraient une existence réelle séparée, comme le voulait la théologie scotiste. On note toutefois qu'Hugues par une argumentation ab ignoto in notum, admet que certains effets supranaturels, qui ne peuvent être attribués à des causes naturelles, permettent d'envisager la possibilité de l'existence de pures créatures intellectuelles, les anges, qui seraient la cause de ces effets, sauf à admettre les miracles comme des effets d'une intervention directe et immédiate de Dieu.

Le cours de de physique d'Isaac Hugues est beaucoup plus développé. Nous le connaissons par celui qu'a pris Élie Bouhéreau sous sa dictée en 1658-59.[5] On notera que le cours proprement dit est précédé d'un bref résumé de l'Organon tel que l'a fixé la tradition (« Enarratio brevis organi Aristotelis ») et d'un cours de logique qui en constitue le premier volume, avec ses deux parties des prolégomènes sur la nature de la logique, et les questions qu'elle soulève.

Je n'entrerai pas dans le détail du cours lui-même. J'insisterai simplement sur le fait qu'il est constitué de deux grandes parties, la physica generalis et la physica particular. La physique générale s'intéresse aux corps naturels dans leurs aspects matériels – leur composition faite de matière et forme – et leurs aspects formels – c'est à- dire le principe de mouvement et de repos constitutif de tout corps naturel. Sous couvert, si j'ose dire, de ces notions générales, la physica particularis, permet alors à Isaac Hugues d'aborder tout un ensemble de phénomènes naturels, par exemple la question des germes et de la génération des êtres vivants : est-elle spontanée ou non ?

Ce sont ces questions, souvent d'actualité à l'époque qui font aussi l'intérêt des positions de thèses publiques soutenues lors de la dispute de maîtrise. Ainsi dans celles qu'il fait défendre à ces étudiants en 1661, Etienne Gaussen, alors professeur de philosophie, s'intéresse aux éléments chimiques et à l'atomisme

comme explications possibles de l'altération des corps physiques.

Si la physique enseignée à Saumur dans le courant du siècle, témoigne ainsi d'une véritable curiosité scientifique, elle doit cette ouverture au milieu intellectuel saumurois. Ce milieu était composé des oratoriens qui lorsque leur propre collège fut ouvert, assistaient fréquemment aux disputes publiques, à la présence d'un savant comme le médecin catholique cartésien Louis de la Forge qui faisait des démonstrations d'anatomie publiques et aux séjours effectués par des savants étrangers. Signe de cette curiosité il existait à l'époque à Saumur, trois cabinets de curiosités dont l'un assemblé par un apothicaire et dont un autre appartenait à l'un des pasteurs de l'église Isaac d'Huisseau. Je ne décrirai pas plus avant l'activité scientifique de ces milieux et je me permets de renvoyer à la section intitulée « L'académie et la science à Saumur » que je leur ai consacrée, de mon étude sur l'histoire de l'académie qui sert d'introduction au Registre de l'académie mis en ligne sur le site des archives municipales (https://archives.ville-saumur.fr/a/752/consulter-l-histoire-de-l-academie-par-jean-paul-pittion/. Je rappellerai simplement qu'avant même que Chouet introduise une forme de cartésianisme dans l'enseignement, le Conseil académique avait envisagé en 1664 de transformer en « auditoire de physique », une pièce dans le logement du Principal où était aussi installée une bibliothèque appartenant à l'église. On décida « d'affecter à la physique la chambre de ladite bibliothèque toutes fois et quantes que bon lui semblera ». [6]

Mark Duncan et Jean-Robert Chouet Pour terminer je souhaite souligner brièvement ce qui fait l'originalité de la doctrine des deux professeurs les plus remarquables qui ont enseigné à l'académie. Ces deux professeurs Mark Duncan et Robert Chouet illustrent la vitalité de la philosophie aristotelicienne durant la période qui a précédé le triomphe du cartésianisme, Aristote écrivait Gaussen, a été et restera nôtre « maître à tous ».[7]

Marc Duncan a enseigné de 1610 eà 1640. Dans son œuvre riche et complexe, j'insisterai sur deux aspects particulièrement intéressants. En ce qui concerne sa Physique, j'avoue que je suis loin d'avoir terminé l'étude précise du cours découvert par Thomas Guillemin. Mais je suis déjà frappé par la richesse de ses analyses des phénomènes biologiques et la modernité de ses descriptions de la physiologie humaine qui occupent une partie importante des sa physica specialis. Les modèles qu'applique Duncan à l'explication des phénomènes non seulement physiologiques, biologiques, mais aussi mentaux sont tout à fait remarquables. Ils sont l'application de la méthode scientifique qu'il détaille dans son traité de logique.

Dans sa Logique, en effet, Duncan définit ainsi la démarche scientifique : « postquam autem to oti causa cognitum est , instuitur comparatio causæ cum effecto : ut primum mens, insita sibi vi, illam causam esse et hoc effectum esse comperit, sit regressus a causa ad effectum per demonstrationem to dioti » (p. 304-5). Dans un premier temps (to oti), devant un événement physique qui se présente à lui comme l'effet d'une cause, l'esprit est conduit à faire des suppositions quant à ses causes. Par un processus d'élimination, en comparant effet et cause supposée, l'esprit aboutit à la cause adéquate réciproque et prochaine ; puis dans un second mouvement to dioti, l'esprit en fait la démonstration en descendant de la cause à l'effet.

L'explication que donne Duncan de ce qu'il appelle la demonstratio ostentiva, témoigne qu'il était familier des spéculations des Padouans en particulier de Zabarella, sur la démarche a-priori et a-posteriori. Il applique aux phénomènes physiques un modèle de la causalité hérité de la réflexion médicale contemporaine sur la détermination des causes de la maladie. Dans la façon dont il associe voie ascendante et voie descendante et recherche de la cause prochaine, on peut voir comme l'anticipation d'une véritable méthode scientifique. Toutefois ni les mathématiques ni l'expérimentation proprement dite ne trouvent place dans sa conception de l'« inventio scientiarum ». Dans sa conception de la physique « biologique » Duncan tourne résolument le dos à la scholastique et il se rapproche plutôt de Bacon.

La carrière de Jean-Robert Chouet à Saumur été beaucoup plus brève, de 1664 à 1669, mais les thèses qu'ilf fit soutenir en 1667, sont beaucoup plus étendues que l'étaient ordinairement les thèses de physique et de logique.[8] Elles ont eu une influence non seulement sur ces successeurs mais sur les Oraoriens du collège de la ville d'ordinaire. En physique, Chouet montre qu'il a compris l'importance de l'instrumentation et de l'expérimentation, bien que son souci de concilier aristotélisme et cartésianisme l'ait parfois conduit à des confusions. Chouet décrit de façon précise « la très célèbre expérience » du tube de Torricelli, mais en tire la leçon que la partie du tube restée apparemment vide est en réalité remplie d'une « matière subtile », l'éther. À aucun point des thèses, Chouet ne fait allusion au concept de pression atmosphérique. Il semble ignorer les Traités de l'équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l'air de Pascal, traités posthumes parus à Paris en 1663, mais connus dès avant cette édition par diverses relations.

En cosmologie, Isaac Hugues s'en tenait au modèle ptolémaïque qui plaçait la terre au centre de l'univers. Dans son cours, Hugues fait allusion à « des astronomes plus récents, » mais seulement pour signaler que leurs calculs ont permis de corriger la position relative des planètes. Chouet, lui se fait résolument défenseur du modèle héliocentrique. Les thèses de 1667 mentionnent aussi le rôle joué par la lunette astronomique dans la découverte des satellites de Jupiter et des taches du soleil, pour réfuter la thèse selon laquelle le ciel est solide.

D'autre part, tout en étant tributaire de Descartes sur le choc des corps, le principe d'inertie et de conservation du mouvement, Chouet contrairement à celui dont il se réclame, ne fait pas intervenir Dieu dans la conservation du mouvement. Et dans un passage que seule la dispute permettait peut-être d'expliciter, il semble considérer l'intervention de la pesanteur dans la chute des projectiles qui, une fois lancés, poursuivraient leur trajectoire, s'ils n'étaient « tirés vers le bas par la gravité » (« nisi a gravitate deorsum [com]pellerentur »).

Dans ses Theses logicæ, Chouet aborde une des questiones disputatæ de la scolastique, celle de la nature des universaux et passe en revue les distinctions classiques entre « universale in essendo, in prædicando, in repræsentendo ». Il reprend la critique de Duncan concernant les diverses positions scolastiques et définit les universaux comme des modes de la pensée. L'esprit saisit la ressemblance entre des objets, en forme une idée générale, qui est signifiée et représentée par un terme général : « ex ea unitate, sive similitudine fieri postea, ut naturæ ipsæ singulares unico concepto, id est una et eam idea repræsententur… immo et nomen ipsum universale in significando dicatur » (Theses logicæ, position I) . Cette position reprend celle de Descartes dans les Principia (I, 59) : « Fiunt hæc universalia ex eo tantum, quod una et eadem idea utamur ad ommia individua quæ inter se similia sunt cogitanda ».

Dans ses theses metaphysicæ, enfin Chouet adopte la même démarche. Les positions V et VI, proposent un critique de la distinction scolastique entre ens reale (l'être de l'objet en tant que tel) et ens rationis (l'être de l'objet en tant que saisi par l'esprit). Ce dernier n'a pas de réalité objective, il ne peut exister sans le premier : « eam [divisionem] non admittemus qua ens distribuitur in ens reale et ens rationis quod objective tantum in intellectum esse dicunt, cum absolute nullum detur ens rationis quod simul ens reale non sit. Illud enim quod objective tantum in intellectu esse dicunt, hactenus a nobis intelligi non potuit». La distinction de l'être en dix catégories est elle aussi artificielle, car les catégories ne sont pas immédiatement saisies dans l'objet par l'esprit. La seule distinction que l'on peut poser est celle qui est entre substance et accident. Comme le faisait déjà Duncan, et dans la lignée du Descartes des Principia, Chouet rejette la notion scolastique d' « attributs réels » qui existeraient indépendamment de la substance. Les attributs ne sont rien d'autre que des modes de la substance : « accidentia nihil aliud esse præter varios ipsius substantiæ modos ». Les conséquences en sont évidentes pour le dogme de la transsubstantiation.

En conclusion, Chouet, a sans aucun doute, contribué à donner un nouvel élan à l'enseignement de la philosophie à Saumur, mais tout en restant fidèle à son esprit. Par son rejet de la scolastique et par sa recherche d'une méthode propre à la connaissance des phénomènes naturel l'enseignement à l'académie de Saumur a participé à une sécularisation de la pensée philosophique et à son autonomie qui sont un des signes de la modernité.

Merci à Thomas Guillemin qui a accepté de lire ce texte et merci à tous ceux qui ont eu la patience de m'écouter, par son truchement, jusqu'au bout.

© Jean-Paul Pittion

1] Cf. "Loix générales des académies", adoptées au Synode national d'Alais, 1620, in J. Aymon, Tous les synods des Eglises réformées de France, 2 vol. , La Haye, 1710, 2 vol. , p.20

[2] Cf Registre , f. 115.

[3] Voir la transcription de ces statuts dans notre « Histoire de l'académie », introduisant la mise enligne du Registre sur le site des archives municipales de Saumur.

[4] Marsh's Library, R2.5.31.

[5] Marsh's Library, R1.1.40-45.

[6] Registre f. 188r..

[7] 
See Jean-Paul Pittion, "Notre maître à tous : Aristote et la pensée réformée française au xviie siècle", in De l'Humanisme aux Lumières, Bayle et le protestantisme, ed. M-C. Pitassi, R. Whelan & A. Mc Kenna, Oxford, Voltaire Foundation, 1996, p. 429-443

[8] La majorité des thèses de philosophie étaient publiées in-plano en affiche et ne contenaient que les principales positions Celles de Chouet sont in-octavo : cf. Jean Robert Chouet, Theses ex Universa Philosophia Selectæ… T. Rovierus Respondens…, Salmurii, , 1667, copy in British Library, 536 e 12 (38)